Futur du travail et des organisations : Quel DRH dans un monde en transition ?

Au cœur de la pandémie, la fonction RH a occupé une place centrale. Aujourd'hui, la balle est au DRH. Va-t-il la rendre ou, au contraire, transformer l'essai pour s'intégrer durablement au cœur de la stratégie ? Quatre responsables RH de grandes entreprises sont venus débattre de la place et du rôle qu'ils comptent occuper dans le monde à venir. 

Quel DRH dans un monde en transition ?

A l'initiative de l'Executive HR MBA du Groupe IGS, les responsables des ressources humaines de quatre entreprises partenaires du programme se sont réunis le 18 novembre 2021 pour tirer un premier bilan de la crise, laquelle, si elle tarde à se dissiper, a déjà profondément impacté leur fonction. Avec un premier enjeu déjà sur toutes les lèvres, celui du télétravail et de l'hybridation des organisations.

Pour illustrer cette question à multiples dimensions, Isabelle Lamothe, VP Practice People and Organization de Capgemini Invent, dévoile les résultats d'une enquête mondiale menée par son groupe auprès de 5 000 collaborateurs. D’abord, pour 70 % d'entre eux, le télétravail s'inscrira dans la durée. Et si leurs managers sont parfois prompts à souhaiter les voir revenir au bureau, ce n'est pas selon eux gage d’efficacité, 74 % des collaborateurs en France (contre 63 % dans le monde) s'estimant plus productifs en télétravail qu'en présentiel. Nombre d'entre eux ont apprécié la souplesse et l'autonomie de cette manière de travailler. Souplesse également soulignée par les dirigeants eux-mêmes, dont 70 % comptent profiter du télétravail pour recruter des collaborateurs hors de leur région. "Cela ouvre des champs, tout en posant la question de l’équité : y aura-t-il deux réalités, ceux qui travaillent sur place et les autres ? Quelles seront les conditions ?", s'interroge Isabelle Lamothe.

La confiance comme pilier

"La crise a fait bouger bien des lignes. Elle a entraîné un retour du régalien et de la notion de responsabilité dans notre entreprise", analyse Jérôme Leparoux, Secrétaire général en charge des RH du Groupe Daher, avionneur et équipementier pour l’aéronautique qui compte plus de 10 000 collaborateurs dans le monde. "Nous avons vu notre secteur s'écrouler de manière dramatique et avons dû compter sur nos valeurs pour tenir", relate-t-il. Devant le choc subi - un trafic aérien en baisse de 40 % au plus fort de la crise, qui demeure encore 20 % en dessous de ses standards -, le dialogue social s'est révélé direct, franc, constructif : "Nous avons pu redéployer nos effectifs plus que nous ne l'aurions cru possible, avec l'idée partagée par tous qu'il fallait sauver l'entreprise", souligne Jérôme Leparoux. Cela ne doit et ne peut être anodin pour la suite : "Quand nous avons des débats homériques sur les bienfaits ou non du télétravail et les craintes qu'il suscite, n'oublions jamais que nous parlons de gens qui ont sauvé la boîte !" Pour lui, les questions du télétravail et de la flexibilité doivent être prises par le bon bout, celui de la confiance. Discuter de la quantité idéale de télétravail hebdomadaire a peu de sens quand les contraintes de chaque poste - et de chaque personne - sont différentes : "Nous cherchons un équilibre qu'il appartient aux collaborateurs eux-mêmes de trouver et n'y parviendrons qu'en leur faisant confiance", estime-t-il.

L'industrie automobile a, elle aussi, vécu le choc de plein fouet. Auquel succède aujourd'hui une nouvelle crise, celle des semi-conducteurs, comme le rappelle Jeannette Schuh, VP HR & Internal Communication de Plastic Omnium, fabricant de modules et équipements pour l'industrie automobile : "Le maître mot de tout cela est d'abord l'adaptation. Pour moi, le télétravail est seulement l'un des critères d'un débat plus large." En effet, une organisation implantée dans des dizaines de pays ne fonctionne-t-elle pas déjà remote ? "Quand vous travaillez depuis votre bureau avec des collègues indiens, vous n'êtes pas non plus côte à côte. C'est pourtant ce que nous faisons depuis des années, sans que cela n'inquiète personne" illustre-t-elle. 

Clivage white / blue, ou comment préserver l'équité au sein du groupe ?

L'écueil de l'injustice guette toute décision RH ; celle du télétravail n'échappe à la règle. Certaines fonctions ne pouvant objectivement s'effectuer à distance, des voix s'élèvent déjà contre un nouveau clivage entre cols blancs et bleus. Un débat présent chez les analystes bien moins sur le terrain, selon Yann-Etienne Le Gall, DGA Ressources Humaines du Groupe Rocher : "L'équité est une question philosophique. En pratique, nos collaborateurs qui travaillent en usine savent parfaitement pourquoi ils doivent être présents. C'est une question de nature de poste, en aucun cas de hiérarchie. Nos ingénieurs en Recherche et Développement non plus ne peuvent amener leur laboratoire chez eux !" Le Groupe Rocher a ainsi décidé 2 à 3 jours hebdomadaires de télétravail pour les fonctions tertiaires, "et je vous assure qu'il n'y a eu aucune accusation d'injustice."

Entre deux mondes

Pour lui, la question prioritaire du jour n'est pas liée au télétravail mais à la manière dont nous allons parvenir à "réenchanter" nos lieux de travail. "Nous faisons face à un déficit de rapports humains, avec le sentiment que nous sommes aujourd'hui sur un faux rythme. Nous sommes sortis d'un "mode crise" intense dans lequel il fallait sauver l'entreprise et n'avons pas encore pris nos marques dans la nouvelle situation", analyse-t-il. Un faux rythme compliqué à gérer, notamment pour les jeunes RH, "qui peuvent légitimement être déçus de ce déficit mais doivent réaliser qu'un challenge passionnant les attend." A l'aube d'une nouvelle définition des rapports humains, de la manière de travailler, recruter ou encore former les gens, une époque s'ouvre où les RH auront un rôle-clé.

RH du futur : proche de la vie, proche du business

Ils ont, d'abord, de nouveaux espaces à investir. Ainsi, par exemple, "les enjeux de société sont entrés dans l'entreprise avec une force inédite", constate Jérôme Leparoux. Autrefois hermétiques, mondes personnel et professionnel ne peuvent plus être traités séparément. "Quand on parle de télétravail, on parle forcément de vie quotidienne, contraintes personnelles, transports, urbanisme, écoles, santé… A nous de convaincre nos dirigeants d'accepter que ces sujets fassent irruption dans l'entreprise et de les intégrer dans leur réflexion", propose-t-il.

Plus proche de la vie réelle des collaborateurs, la fonction RH doit aussi devenir - ou rester - au plus près du Comex et de la stratégie, souligne Jeannette Schuh, laquelle s'invite volontiers dans les réunions business de son groupe, où les ressources humaines n'étaient jusqu'alors pas conviées. "Pourtant, c'est bien là que je peux sentir les choses et comprendre de quelles compétences nous aurons besoin dans les mois à venir", plaide cette ancienne participante de l'Executive HR MBA du Groupe IGS. "Pour être plus claire : il est temps de nous inviter !"

Une proposition à laquelle abonde l'ensemble de ses confrères. "La fonction RH sort incontestablement renforcée de cette crise. Nous devons garder la balle", estime Jérôme Leparoux, immédiatement complété par Isabelle Lamothe : "Les balles. Car d'autres vagues s'apprêtent à déferler sur nos entreprises, à commencer par celle de l'environnement, qui pourrait être encore plus gigantesque que celle du digital…" Autant dire que les DRH ne doivent surtout pas laisser retomber ce bel élan d'inventivité et de leadership - il leur sera fort utile dans les temps à venir.

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